Nous sommes un groupe d’une douzaine de bruxelloises qui a entamé au printemps 2021 un travail de recherche sur la prise en main collective des situations de conflits, agressions et violences.
Au départ
Nous nous sommes renseignées, à travers des témoignages et des écrits, sur les pratiques déjà expérimentées par d’autres groupes et pays (et notamment sur la justice transformatrice). Nous étions alors préoccupées par la manière dont les agressions sexuelles ou sexistes étaient prises en main (ou pas) dans nos entourages respectifs. Nous constations qu’il existait trop peu d’outils pour la prise en main collective des violences, ou qu’ils étaient difficiles à trouver. Notre travail a pour objectif de re-partager des outils déjà existants et d’en créer d’autres.
Notre fonctionnement
Nous nous organisons sous forme d’assemblées régulières et de groupes de travail.
Nous avons commencé les interventions par une mise à disposition d’informations et de moments d’écoute.
Formées mais pas expertes
Indépendamment du travail de recherche des matrisses, nous nous (auto)formons individuellement ou collectivement (cercles concertatifs, médiation, socianalyse, justice restauratrice, dynamique de groupe, criminologie, psycho-sociologie…), et rencontrons des collectifs ou praticien·ne·s qui travaillent ces questions (Fracas, Mantidae, Centre de jinéoloji de Bruxelles, Praxis…), avec qui nous tentons de faire évoluer nos recherches et nos pratiques. Ce savoir nous sert à proposer des balises et certainement pas à asséner des vérités sur une situation dans laquelle nous ne sommes pas impliquées.
Que défend matrisses ?
Sur le système pénal
Nous partageons une sincère hostilité envers le système pénal.
Il ne s’agit pas selon nous d’un système défaillant à réformer, mais d’une violence structurelle qui protège les forces hégémoniques (suprématie blanche, capital, patriarcat). Son objet est la reproduction de la souffrance envers celles et ceux qui subissent déjà le plus profondément les préjudices des systèmes de domination. Il cible principalement les jeunes hommes issus de l’immigration post-coloniale, néglige et violente les survivantes d’agressions, maintient une emprise sur l’ensemble du corps social pour que personne ne s’avise de bousculer le statut quo.
Partant de là, nous défendons une autre pratique de justice et d’approche des conflits, hors des logiques pénales, et qui porte attention à ne pas reproduire la violence.
Pour autant nous ne sommes pas un groupe militant : nous ne produisons pas d’analyse critique ou stratégique, et donc nous ne nous positionnons pas publiquement pour le moment (ni cartes blanches ou tribunes, ni organisation ou soutien de mobilisations). Ces engagements se font pour chacune d’entre nous à travers d’autres initiatives que matrisses.
Nous pouvons juste affirmer que les pratiques de plaintes collectives, de tribune politique lors des procès, les mobilisations des comités Vérité et Justice suite aux violences policières racistes, nous semblent toutes importantes à soutenir : elles augmentent parfois les marges de manœuvre des principales cibles du pénal.
Sur la vengeance personnelle et collective, la dénonciation publique et la plainte individuelle auprès de la police
Chacun·e vient avec son histoire singulière, parfois en contexte d’isolement, et certaines situations d’agressions ne laissent que très peu de possibilités de transformation. Chacun·e fait avec les outils et stratégies à sa disposition. Et nous manquons cruellement de ressources pour développer des alternatives. Nous ne jugeons pas à priori les plaintes, dénonciations et vengeances. Nous nous contentons d’en pointer certains inconvénients: ces pratiques participent à une forme de déresponsabilisation collective et peuvent reproduire des rapports de domination, de l’isolement et des logiques pénales. Quant aux dépôts de plainte et poursuites pénales, elles ne répondent pas ou très peu aux besoins fondamentaux des victimes: le besoin de réponses, le besoin de reconnaissance du préjudice subi, le besoin de sécurité, le besoin de réparation, le besoin de trouver et donner du sens à ce qu’on a subi (Ruth Morris)
Plus largement
Nous pensons qu’il est essentiel de construire une culture du conflit1 et des pratiques de justice qui nous rendent capables de prendre en main des situations de violence, d’abus, de domination et de grandes tensions avec le plus de justesse possible.
C’est un long apprentissage, et la délégation de la gestion des violences aux institutions pénales nous a dépossédé en grande partie de ces savoirs-faire indispensables pour nous organiser collectivement sur le temps long sans nous abîmer. Ce savoir est notamment une condition de création et de durée de communautés viables.
1 Savoir-faire dans la manière de se positionner dans/ de traverser les conflits, et de les rendre fertiles et transformateurs, plutôt que de polariser les positions et de s’accuser mutuellement.